Par Elsa Mari
Notre voix, il faut la soigner, la préserver, s’en préoccuper. Elle est le reflet de notre personnalité, de notre santé. Jean-Philippe Lafont, ancien baryton, a été le prof d’Emmanuel Macron, avant qu’il accède à l’Elysée.
Au fond d’un café,Jean-Philippe Lafont se montre intarissable. Paluches de titan, sourcils broussailleux, cet homme de 66 ans à la carrure imposante appuie sur les mots, les poings serrés, articule chaque syllabe. Imite les accents, grimpe dans les aigus et fredonne, de façon soudaine. Une maîtrise de la voix que ce baryton international pendant quarante ans met en mots dans un livre, «Avec voix et éloquence», qui vient de paraître*. Il insiste : elle est le reflet de la santé. «Tout le monde parle trop vite, respire mal, se bloque le diaphragme. Grave erreur», déplore ce Toulousain, à l’accent chantant.
Fin 2016, alors qu’un accident — il chute dans un escalier pendant une répétition — met un point final à sa carrière, le chanteur lyrique décide d’enseigner la diction, l’efficacité du propos, le contrôle du souffle. C’est alors qu’il est recommandé auprès d’un élève pas comme les autres, Emmanuel Macron.
Le futur président lui donne rendez-vous, en décembre, au siège d’En Marche ! à Paris, la veille du discours de la porte de Versailles, son premier grand meeting. Avec celui qui n’est encore qu’un candidat, pianiste et fin mélomane, l’entente est immédiate. «Demain, des milliers de militants crieront : Macron président !Attention à ce raz de marée sonore qui risque de vous déstabiliser. Ne cherchez pas à recouvrir cette puissance populaire», prévient le baryton.
Le lendemain, Jean-Philippe Lafont observe sa prestation, installé devant sa télévision. Le début, au micro, est prometteur, ses conseils suivis. Et puis, brutalement, la voix déraille, il s’époumone. «Aïe, aïe, aïe, Martine, il s’excite, j’ai mal à la gorge pour lui», lance-t-il à sa femme. Un peu plus tard, son téléphone sonne. «Est-ce que j’ai bien suivi vos conseils ?» s’inquiète l’élève, qui souffre d’un mal de gorge. «Pas trop. Vous avez forcé, vous payez l’addition», juge le maître. Il ne va pas être le seul : les réseaux sociaux ne vont pas manquer de railler ses aigus incontrôlés sur «c’est notre projet».
Une dizaine de séances jusqu’à l’élection
Il faut tout reprendre à zéro. Dix séances de deux heures seront programmées jusqu’à l’élection en mai. Jean-Philippe Lafont le suivra dans ses meetings à Lyon, Lille, Paris. Et lui distille ses conseils santé. D’abord, respirer par le nez, qui protège des infections grâce à ses cils, et non par la bouche, qui dessèche les cordes vocales. Et, surtout, détendre son corps. «La parole est un acte musculaire», relève le professeur. Sur la table, Jean-Philippe Lafont rapproche deux feuilles d’un cahier et souffle dessus. «Voilà pourquoi les cordes vocales vibrent. S’il n’y a pas d’air, alors il faut forcer sur les petits muscles du cou. Une personne qui souffre d’un torticolis ne peut pas chanter !»
Sous la douche, le candidat est invité à faire des petits mouvements au niveau de la nuque et des épaules. Droit, les mains le long du corps, il faut faire couler le jet chaud sur sa colonne vertébrale. Le baryton remarque aussi que son disciple boit trop d’eau. «Ça veut dire que quelque chose ne va pas !» Emmanuel Macron doit également éviter les aliments acides, ennemi des cordes vocales, comme le chuchotement, «très mauvais». Faire des vocalises, se reposer. «Oh, j’ai appris qu’il ne dormait que trois heures par nuit. Enfin, il a 39 ans», sourit le coach vocal.
Et, surtout, il doit l’aider à trouver son timbre, sa couleur de voix. «Il m’a confié que, comme on lui reprochait d’être trop jeune, il parlait plus bas pour gagner en maturité.» Erreur. Les entraînements se poursuivent. Avant de monter sur l’estrade, Macron articule, pose la voix, répète ses allocutions sous l’œil du grand chanteur. Son discours d’élection est l’apothéose. Jean-Philippe Lafont l’écoute, séduit. «Quels progrès ! Ce soir-là, ça avait vraiment de la gueule.»
* «Avec voix et éloquence», Jean-Philippe Lafont, Ed. Larousse, 17,95 €.
Ses trois conseils
Pour bien parler, entretenir sa voix et préserver ses cordes vocales, il y a trois règles d’or.
Ne respirez pas par le ventre
Cette recommandation est faite par «des imbéciles qui n’y connaissent rien», tacle Jean-Philippe Lafont, le désormais coach vocal de particuliers. Inutile, non plus, de gonfler ses poumons jusqu’à saturation. Pour bien respirer, il faut imaginer que l’on hume un parfum au creux de son poignet. Après une courte apnée, on souffle, lentement, de façon régulière, par la bouche, sans aller jusqu’au bout de l’expiration. Cet exercice peut être répété matin et soir, 3 à 5 minutes.
Restez bien droit
Si on se tient mal, le souffle sera coupé. Il faut garder une posture alignée, autant que possible, entre les talons, l’arrière des fesses et la tête. «Sinon la respiration devient sporadique, désordonnée», insiste le chanteur lyrique. Il faut imaginer un fil au-dessus du crâne, conseil récurrent dans le milieu de la danse. C’est un bon moyen de prévenir les troubles digestifs et de préserver son organe car des nodules peuvent se former sur les cordes vocales.
Lavez vos sinus
Cet exercice peut être réalisé sous la douche. Il suffit de prendre un peu d’eau chaude dans sa main et de la renifler doucement, en se bouchant l’autre narine, sans insister trop fort. «Ça pique un peu», admet le baryton. Mais cette hygiène nasale permet d’éliminer les poussières qui se déposent sur la muqueuse, responsable d’inflammation locale. Ce geste protège aussi contre les rhumes et les rhinites allergiques.
A vos exercices 🙂